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Colette

J’ai rendez-vous dans le hall d’accueil d’une résidence séniors. On dirait un HLM . Couleur saumon sale sur les murs. Au 4ème, il y a le studio de Colette . En rentrant, une odeur légèrement fétide, mélange d’urine et de litière de chat me prend le nez. Je l’aperçois. Elle est dans un fauteuil médicalisé, la tête qui repose sur sa poitrine, elle pleure en silence. Sa morve et sa salive dégoulinent sur son pull. Nous lui disons bonjour, elle ne relève pas la tête. Mon binôme s’assoit, j’en fais de même. Et le silence s’installe. Il ne fait rien pour sa morve. Peut-être n’ose-t-il pas…Je prends des mouchoirs dans mon sac et je passerai 2 heures à essuyer son nez et sa bouche. Je rapproche ma chaise, je lui prends la main, elle est glacée. Je ne la lâcherai pas. Le chat persan blanc est miteux. Les bourres de ses poils sont tellement lourdes que la fourrure se décolle par endroit laissant apparaitre la peau rose et nue. Ses yeux coulent et ce larmoiement noircit tout son museau. Miteux, comme le studio. Une pièce blafarde, du vilain lino gris, des fausses peintures moches aux murs, quelques bibelots usés, seules preuves qu’elle possédât un jour quelque chose à elle.. Sur une table des piles de couches, des produits de soins, des gants, des médicaments. Dans un coin un fauteuil roulant, des jambières en plastique et au milieu, face à une vieille malle sur laquelle trône un écran télé, son lit médicalisé. La pièce donne sur un balcon dont le ciment moisit avec l’humidité. Il pleut. Sur le mur, près d’elle, quelqu’un a collé la photocopie en format A4 d’une photo d’elle. Elle a une soixantaine d’années, elle est encore belle. Elle porte un pull sur lequel est brodé « Amour », celui d'aujourd’hui, complètement délavé. Je la regarde dans son fauteuil, avachie, une grosse couche entre les jambes, ses pauvres cuisses décharnées pendent dans le vide, et au bout, des gros chaussons à scratchs, bleus. Son nez coule. Elle est tellement vulnérable. Je lève les yeux. Sur un petit bureau , une autre photo d’un homme jeune avec un enfant. Elle ne sait plus qui c’est. De toute façon, personne ne lui rend plus visite. Je lui demande si elle a envie d’un thé. Oui elle a envie d’un thé. Je ne trouverai rien, pas de casserole, pas de thé. Juste des tiroirs et des placards vides à l’exception de deux tasses avec leurs soucoupes qui n’ont probablement jamais servi ici. Je lui pose des questions, je parle du chat dont elle ne se souvient pas du nom, de quand elle était institutrice, j’espère la reconnecter avec quelque chose, une petite étincelle. Elle répond un peu, cherche ses mots, fouille les miettes de ses souvenirs. Elle ne pleure plus Mon binôme attrape « Le petit prince » et commence la lecture. Elle écoute. Je serre sa main, caresse ses doigts. Ses yeux errent dans le vague, ils cherchent à se souvenir. Parfois elle sort des mots qu’on ne comprend pas. Mais on acquiesce. Le chat est rassuré, nous avons pris le relais. Il s’est endormi sur le lit. Moi aussi j'écoute, je regarde dehors, je regarde ses mains abandonnées. Le temps est suspendu dans cette pièce triste. Je me demande si ça sert à quelque chose, si elle se rend compte. Mais sa main est chaude maintenant. C'est déjà ça.


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