Ce matin, on annonce 94. C'est un coef. de grande marée.
Un matin pour la pêche à la palourde.
Un an qu’ils y pensent à ces quelques jours de pêche.
On vient à pied, à vélo, en voiture et on les gare partout où on peut, ça s'empile dans tous les chemins avoisinants la plage.
Cul à cul, presque dans les fossés.
Certains se précipitent, par grappe, bottes aux pieds et casquette vissée sur la tête.
Chacun son seau et son grattoir en main.
Ils descendent avec la marée, pour gratter chaque centimètre de sable qui se découvre, quand ils ne sont pas déjà penchés, de l’eau jusqu’aux mollets, un peu en amont, histoire d’être les premiers à ramasser.
De ce côté-ci de l’île, quand la mer se retire, par gros coef, on peut marcher très, très loin avec de l’eau jusqu’aux genoux. Quand on se retourne et qu’on aperçoit plus que la bande blanche du sable, c’est à la fois magique d’être aussi loin dans la mer et à la fois un peu inquiétant.
Il parait qu’elle remonte à la vitesse d’un cheval au galop.
D’autres sont moins pressés et ont installé une table et des chaises entre les deux coffres ouverts de leurs voitures, le long de la route.
On sort le rosé de la glacière, les chips, la baguette, le pâté, le jambon et la salade niçoise.
Il y a des discrets.
Il y a des rires gras et forts.
Parfois la radio est allumée pour suivre le tour de France.
Ils prennent leur temps. Le pique nique fait parti du rituel.
Peut être même que c'est le moment le plus important finalement.
Ils partiront en fin de marée descendante, le ventre plein, un peu grisés.
Je regarde un petit groupe en maillot entrer dans l’eau, après que chacun ait donné de nouvelles de l’année aux autres.
« Oh bon dieu, elle est plus froide qu’hier ! »
Mais il en faut plus à Nicole pour renoncer.
Quarante ans qu’elle vient ici.
Avec Rémi, ils posent leur caravane dans le camping à côté en mai, installent un mini jardin autour du auvent (quelques succulentes dans le sable, des pots de pétunias et de géraniums aux piquets).
La table et les chaises en plastique blanc fatigué, la nappe en toile cirée avec ses corbeilles de fruits aux couleurs passées témoignent des années écoulées sous le soleil Noirmoutrin.
L’emplacement 427, c’est leur maison secondaire, cinq mois par an.
C'est même mieux qu'une maison secondaire.
Ici, on est jamais seul. On se croise au bloc sanitaire, à la vaisselle, à la réception, sur le terrain de pétanque.
On cause météo, on se raconte mille trucs et tout parait léger, même quand on parle du malheur, on est presque gai.
Comme si, pendant ces longues vacances, il ne pouvait rien arriver.
On aime tout le monde (ou presque).
Le quotidien est suspendu. Remplacé par un autre quotidien.
Midi et soir, le roulement apéro fonctionne à merveille.
Les femmes s'échangent la recette du cake au poisson au micro-onde, des rillettes de sardines à la tomate.
Parfois devant la télévision qui trône sous le auvent.
Fin septembre, on plie tout, on reprend la route pour son coin de banlieue ou sa province ailleurs et on espère que tout le monde sera au rendez-vous l'année d'après.
On est un peu triste, mais pas trop.
Il commençait à faire frais, le soleil se couche tôt maintenant.
Et puis, il ne reste que les vieux habitués.
Les enfants et les touristes sont partis.
Alors on s'embrasse et on se quitte en espérant que personne ne manquera à l'appel l'an prochain.
On sait bien que le cancer en touchera bien quelques-uns, mais on y pense pas trop à l'avance.
J’ai repris mon vélo, quitté la plage en croisant les familles qui se dirigeaient toutes au même endroit, un carré grand comme un mouchoir au milieu de toute cette mer.
Il vont là où il y a déjà du monde. C’est bon signe. Ça veut dire que les palourdes sont là.
Pas dix mètres avant, ni après. Juste là.
Bientôt le pillage commence, on remplit des seaux parfois de 5 à 10 litres.
On ramasse bien plus qu’on ne peut en manger.
On se fiche pas mal de la taille et du fait qu’il y en ait un peu moins chaque année.
On en ramasse le plus possible.
C’est toujours ça de gagné.
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